dimanche 1 septembre 2013

Ces malades des ondes électromagnétiques, qui « survivent »



Ils souffrent de maux de tête, brûlures, insomnies ou encore de tachycardie, des symptômes qu’ils attribuent aux ondes des téléphones portables, réseaux Wi-Fi ou antennes-relais. Ces personnes dites électrohypersensibles (EHS), une maladie non reconnue en France, ont développé une intolérance plus ou moins sévère aux champs électromagnétiques. Au point de devoir multiplier les consultations médicales, aménager leur logement, porter des protections et parfois fuir toute civilisation.


Rassemblement de personnes EHS à Boulc. | Audrey Garric/Le Monde
Les 26, 27 et 28 août, ils se sont réunis dans la vallée isolée de Boulc (Drôme) pour demander la mise en place « urgente » de zones blanches, sans aucune radiofréquence. Portraits de ces malades des ondes.

  • Anne Cautain, installée dans les écuries d’une maison forestière

Elle se sent « brûler » à la moindre onde, qu’il s’agisse du Wi-Fi, des téléphones mobiles, des appareils électroménagers, mais aussi des fréquences extrêmement basses (50 Hz) générées par le passage du courant dans les câbles électriques. Anne Cautain, 57 ans, est une très grande électrohypersensible. « Depuis 2009, je suis un véritable radar : je sais qu’à tel endroit, il y a une antenne ou un transformateur. Je ressens le courant jusque dans mes terminaisons nerveuses », raconte-t-elle, les joues écarlates, les pieds nus et le poignet relié à un piquet en acier enfoncé dans la terre, pour se « décharger ».

Le voyage pour rejoindre Boulc, depuis les Hautes-Alpes, où elle vit dans les anciennes écuries d’une maison forestière éclairées à la bougie et chauffées au poêle, l’a épuisée. Elle l’a passé enveloppée de couvertures dans un camion transformé en cage de Faraday (une enceinte métallique étanche aux champs électromagnétiques), conduit par sa fille, dont elle dépend totalement. Finalement, elle restera très peu sur le site, où quelques ondes lui parviennent, malgré l’isolement.

Anne Cautain n’a pas toujours été intolérante aux radiofréquences. Ses symptômes sont survenus six mois après l’installation de bornes Wi-Fi à la cité universitaire de Nice, où elle travaillait comme femme de ménage. « J’ai commencé à ressentir d’intenses souffrances neurologiques, des vertiges, des pertes de mémoire et mon sommeil était fractionné, décrit-elle. Puis, je n’ai plus supporté mon appartement, situé près d’antennes-relais. » Elle le quitte du jour au lendemain. S’ensuit une année d’errance à fuir les ondes, passée entre une yourte au fond d’une vallée, une cave de restaurant, une voiture blindée sur un parking, une caravane et une cabane à jardin tôlée. « Ma souffrance n’était plus qu’une longue dégringolade. Je ne savais plus où me mettre, je voulais aller sous terre », dit-elle encore, une tristesse dans la voix.

C’est à ce moment qu’elle entend parler d’une grotte, à Saint-Julien-en-Beauchêne (Hautes-Alpes), dans laquelle elle vivra trois ans, avec deux autres femmes également « électro ». Les habitants du hameau, solidaires, aménagent la cavité (avec du plancher pour poser des lits et des bâches contre la pluie), d’autres leur apportent des paniers de fruits et légumes et de l’eau, et un voisin leur prête sa douche. Malgré tout, la vie est rude : la température dépasse rarement les 10 °C, la lumière est faible et Anne Cautain perd 14 kilos. Les trois femmes finiront par quitter leur refuge lors de l’installation de la 3G dans le village, qu’elles disent avoir « sentie » avant d’en être informées.

« Je sais que je passe pour une folle et une marginale, confie-t-elle, lucide. Mais même si c’est extrêmement dur à vivre, je n’ai pas le choix. Je ne regarde pas le passé, ni ce que je perd dans la vie : je survis. » Touchant une pension d’invalidité de la Sécurité sociale, elle dit « espérer pouvoir un jour guérir et retrouver une vie presque normale, indépendante, dans une zone blanche ».
  • Oscar, ancien trader qui vit et travaille à Paris

Il est à l’opposé de la caricature de l’électrosensible marginal et dérangé. Oscar, 47 ans, ancien sales trader (négociateur-vendeur) dans de grandes banques internationales, intolérant au Wi-Fi depuis 2010 – mais sensible aux champs électromagnétiques depuis des années –, continue de vivre et travailler à Paris, comme professeur en écoles de commerce et formateur indépendant pour des établissements bancaires. Des lieux où les ondes foisonnent.

« Les journées m’épuisent, entre les brûlures à l’intérieur du corps, les picotements et les maux de tête. Et j’ai du mal à récupérer la nuit », témoigne-t-il. Parfois, il doit lever le pied. « Je devais partir à New York en juillet, pour donner une formation très bien payée. Mais j’étais à bout. J’ai dû annuler au dernier moment », regrette-t-il, pointant une maladie « très pénalisante dans la vie professionnelle ». « Avant je travaillais à New York, Chicago et Londres. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Je passe un tiers de mon temps à essayer de me soigner et aller mieux. Cela a changé ma vie. »

Depuis l’apparition de ses symptômes, Oscar a déménagé trois fois, pour finalement s’installer près du bois de Vincennes, cet été. Chez lui, aucun Wi-Fi (il a aussi demandé à ses voisins d’éteindre le leur la nuit), un téléphone filaire, un réveil à piles, et des rideaux de blindage. Il enchaîne les rendez-vous chez les médecins et court fréquemment dans les bois. « Au final, je n’ai pas de vie de couple, pas d’enfant, et une vie sociale très perturbée. L’électrosensibilité, ça isole.« 
  • Isabelle, obligée de dormir dans sa cave

Elle porte une casquette enveloppée d’un maillage de fils de cuivre et d’argent. « Cela atténue les maux de tête, les fourmis que je ressens dans une moitié de mon crâne et les troubles du langage », explique-t-elle. En 2008, Isabelle, 52 ans, podologue– qui préfère rester anonyme – est reçue en urgence par un neurologue pour ces symptômes. Après une batterie de tests, le médecin conclut qu’elle est en parfaite santé.

« J’ai ensuite compris que mes maux étaient entraînés par les antennes-relais installées au sommet d’un château d’eau à 130 mètres de chez moi, assure-t-elle. A chaque fois que je quittais mon domicile, je me sentais mieux, et quand je revenais, cela empirait de nouveau. »

Isabelle ne pourra pas déménager, son mari refusant de quitter la maison famiale iséroise. Elle fabrique alors un lit à baldaquin fonctionnant comme une cage de Faraday, qu’elle installe dans sa cave. Et dès qu’elle peut, elle fuit son domicile, comme entre 2011 et 2013, où elle se réfugie en Dordogne. « Ma vie s’est retrouvée bouleversée, témoigne Isabelle, aujourd’hui à la retraite. Quand j’arrive à ne pas être trop exposée, je me sens mieux. »
  • Philippe, qui a quitté son travail, son logement et sa femme

C’est en 2007 que tout bascule pour Philippe Tribaudeau. Professeur de technologie, il travaille presque tout le temps derrière un écran, en présence de vingt-quatre autres ordinateurs dans la salle. La chambre de son appartement de fonction se situe en outre à 15 mètres du transformateur de son lycée, près de Dijon. « En trois mois, je n’ai plus supporté les ondes. Je ressentais des brûlures sur la peau, des picotements partout et une énorme fatigue, raconte-t-il. J’ai réussi à finir l’année mais je n’ai pas pu faire la rentrée suivante. » L’ancien enseignant enchaîne alors un an d’arrêt de travail, puis trois années de mise en disponibilité sans solde.

« J’ai vécu un an en camping-car en pleine forêt, parfois entouré d’un mètre de neige. Ma femme, qui m’a soutenu pendant quatre ans, me ravitaillait toutes les six semaines. » Il occupe illégalement la forêt de Saoû dans la Drôme, entre juin et octobre 2010, avant d’être expulsé par les autorités. « Nous avons besoin d’une zone blanche pour nous réfugier. L’électrosensibilité, c’est une vie d’errance, d’isolement, de précarité, constate-t-il. Il faut essayer de le vivre au mieux, mais partir de chez soi, prendre la route et aller nulle part, c’est une forte pression psychologique. »

Lui dit avoir bien vécu ce « saut dans le vide ». « J’étais bien préparé à vivre dehors : je suis sportif et j’aime la montagne. L’isolement ne me pèse pas, livre l’homme au visage buriné par ces mois de vie au grand air. J’ai reconstruit une nouvelle vie. »

Ce nouveau départ, Philippe Tribaudeau, qui touche aujourd’hui une retraite pour invalidité, l’a pris dans la vallée isolée de Boulc, dans une ferme semi-enterrée qu’il a dénichée il y a un an. Il y a installé son association, Une terre pour les EHS, et y accueille régulièrement des électrosensibles de passage. 

« Tout est toujours disjoncté chez moi, explique-t-il. J’utilise mon ordinateur de temps en temps, un quart d’heure maximum, en travaillant à trois mètres de l’écran grâce à des câbles très longs. » L’homme, également devenu multichimicosensible (intolérant aux odeurs de lessive, parfum ou à la pollution), doit aussi aérer seulement en cas de brise ascendante. Et de conclure : « Je vis dans un bocal. »
  • Maïlys, étudiante en master de toxicologie



« Quand j’avais 14 ans, j’ai eu une crise d’angoisse en regardant un film, puis des vertiges et un gros coup de fatigue. Cela a duré des mois », raconte Maïlys, une jolie blondinette qui arbore une polaire bleue, assortie à ses yeux. Sa mère, kinésithérapeute et elle-même électrohypersensible, associe ces symptômes à l’installation d’une antenne-relais dans leur quartier de Romans (Drôme).

« On a revu le système électrique de la maison, éloigné le lit du mur, enlevé tout ce qui émet des fréquences dans la chambre et je me protège avec des tissus, des casquettes et des écharpes anti-ondes, raconte la jeune fille. J’ai quand même un téléphone portable, mais je ne l’allume très peu. »

Depuis, Maïlys, aujourd’hui âgée de 21 ans, a réussi à évacuer une partie de ses douleurs grâce à l’aide d’un sophrologue. Elle a pu poursuivre des études de santé environnementale et va entrer en master 2 de toxicologie à Paris. « J’ai envie de vivre ma vie avec des jeunes de mon âge, de cesser d’être en retrait. Je vais même chercher un appartement en colocation. 

Mais j’appréhende un peu l’arrivée dans une si grande ville », avoue-t-elle. Si ses proches acceptent de couper le Wi-Fi en sa présence, ils restent sceptiques sur l’origine de ses maux. « Pour ma famille, notamment mes oncles et tantes, c’est un sujet tabou. Ils pensent que c’est dans ma tête. Je leur fais peur. »

Source : Le Monde


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