dimanche 1 septembre 2013

Comment ce banquier s’est fait (légalement) piéger par un client


C’est dans les « petites lignes » que figurent les informations les plus cruciales d’un contrat. En Russie, un consommateur malin a pris sa banque à son propre piège.

Oleg Tinkoff, PDG de Tinkoff Credit System, n’en revient pas que les services de sa banque ait pu être bernés… le plus légalement du monde. DR


Quand il a découvert, en 2008, les clauses écrites en caractère minuscule dans le contrat pour une carte de crédit que lui proposait sa banque, Dimitri Agarkov a vu rouge. Agios et taux de pénalité trop élevés, plafond de dépense trop bas… Rien ne convenait à ce quadragénaire résidant à Voronezh, en Russie,.

 Il a alors une idée de génie. Il scanne tranquillement le document proposé par sa banque, modifie à l’ordinateur les clauses écrites en petit caractère, et envoie le document à sa banque, pour signature -contrairement à beaucoup d’établissements bancaires, 

TCS (Tinkoff Credit System) appose sa signature après réception du document signé par le client. Il se rappelait en effet qu’un contrat, en France comme en Russie, peut-être librement rédigé par l’une ou l’autre des parties et que l’important, c’est que les deux signatures soient authentiques, ce qui était le cas.

Un taux de crédit de 0%, pas de pénalités…
Ses nouvelles clauses ? Un taux de 0% quand il utilise sa carte pour bénéficier d’un crédit, aucun plafond pour les crédits demandés et aucun abonnement annuel à payer. Il ajoute même : « le client n’est pas obligé de payer les frais ou les charges imposés par la banque ». Mais il va pousser le bouchon encore plus loin en stipulant que, si la banque devait modifier unilatéralement les termes du contrat, elle devrait lui verser une pénalité de 3 millions de roubles (68.000 euros) ou des frais d’annulation de 6 millions de roubles (156.000 dollars).

Pendant deux ans, il utilise sa carte normalement, sans abuser du plafond de crédit illimité qu’il s’était accordé : pour lui, comme il l’expliquera plus tard, il s’agissait simplement d’un jeu et d’un défi. Pourtant, en 2010, son compte présente un solde excessivement débiteur au regard du contrat « classique » normalement établi par la banque et celle-ci décide de clôturer son compte et de lui retirer sa carte.

En 2012, alors que Dimitri Agarkov refuse de recréditer son compte, elle décide de le poursuivre en justice et lui réclame 45.000 roubles (1.020 euros) afin récupérer le solde débiteur. 

Mais coup de théâtre : le tribunal estime que le contrat modifié par Agarkov est valide et lui donne raison, exigeant simplement de lui qu’il rembourse son solde débiteur. « la banque a signé le contrat sans le lire, explique à la barre l’avocat d’Agarkov. Ils ont dit à la Cour ce que leurs clients endettés disent en cas de procès : « nous n’avions pas lu le contrat… »
Polar financier

Commence alors un vrai polar financier. Agarkov ne s’en tient pas là et décide d’attaquer sa banque en justice pour « modification unilatérale des dispositions du contrat », conformément à « ses » clauses à lui… Il lui réclame la bagatelle de 24 millions de roubles (550.000 euros). Nous sommes alors à l’été 2013 et le polar prend alors une touche « réseaux sociaux » qui rappelle le film « the social network » : le patron de Tinkoff Credit System, Oleg Tinkoff, commence à riposter via Twitter : « Nous allons continuer à agir en justice: le procès s’est tenu au civil, nous allons poursuivre au pénal ! »

Il continue avec d’autres tweets dont la haute élévation morale pourrait émouvoir jusqu’à Tolstoï-le-pieux : « Voler est un péché, et, à mon avis, tout le monde pense comme moi en Russie ». Les oligarques soucieux de protéger leurs milliards de dollars souscriront en effet sans peine à cette forte maxime.

Les tweets se font de plus en plus menaçants : « Nos avocats pensent que [Agarkov] ne mérite pas 24 millions de roubles, mais quatre ans en prison! Maintenant, @tcsbank [identité de TCS sur Twitter] en fait une question de principe »

L’avocat d’Agarkov tient bon: « mon client n’a commis aucune fraude, puisque la banque a accepté ses modifications, et qu’elle a même accepté la clause du crédit illimité. Il aurait pu s’offrir une île déserte en Malaisie s’il l’avait voulu, et la banque aurait été tenue de lui accorder le crédit correspondant! »
« Je crains pour ma vie… »

La sphère judiciaire moscovite s’enflamme : Stanislas Rivkin, patron d’un gros cabinet d’avocats, prend la défense d’Agarkov en disant lors d’une interview que cette situation était révélatrice de « la négligence et de l’arrogance des banques ».

Du coup, Agarkov prend peur : « Je crains pour ma vie et je songe à quitter ma ville et même la Russie », confie-t-il à un journal de Russie, pays où les agents de recouvrement de créance peuvent être aussi aimables qu’un mafioso turkmène défoncé au crack. 

Un nouveau procès aurait dû se tenir au mois de septembre mais, contactée par Challenges.fr, la banque TCS indique « qu’un accord à l’amiable confidentiel a finalement été trouvé. Les deux parties renoncent à leurs plaintes.

 Monsieur Agarkov reconnaît qu’il s’agissait au départ d’une plaisanterie, et que celle-ci est allée trop loin ». Un communiqué (en russe) confirmant l’accord à l’amiable a été transmis par la banque et peut être consulté ici.
A la Fédération bancaire française, on indique qu’un tel cas « n’est jamais arrivé en France, où les banques signent généralement les contrats avant de les envoyer aux clients ».

Source : Challenges


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